Depuis des semaines, sur notre département, dans ses plus grandes villes, la gronde s’est installée face à une réforme des rythmes scolaires qui se présente comme étant un véritable gâchis. Avec un temps suffisant de véritable concertation on aurait pu travailler la question fondamentale des programmes scolaires et en déduire une nouvelle organisation de ce temps scolaire. On aurait pu se donner le temps suffisant, avec les représentants des maires de France, pour ne déduire les conséquences en termes d’emplois municipaux et ce que cela pouvait supposer comme recrutements ou nouvelles filières, nouveaux cadres d’emplois à construire. On aurait pu, avec les associations complémentaires à l’école, examiner les partenariats à nouer, les formations à mettre en place pour professionnaliser le domaine périscolaire et assurer, par des emplois enfin reconnus et non précaires, la qualité des activités qui nous est vantée dans la réforme. On aurait pu surtout, avec les parents, travailler la question des rythmes de vie qui sont les leurs, de ce qu’ils ont comme répercussion sur ceux de leurs enfants. On aurait pu intégrer dans la réflexion les conséquences financières à terme pour les familles, comme pour les finances publiques.
Mais non, rien de tout cela. Des questions d’affichage politique autant que d’ego mal placé font que ce gouvernement fait, par pure précipitation, une grave erreur de gouvernement supplémentaire. C’est à croire que ce qui importe ce n’est pas la finalité de l’école, c’est plutôt la manière dont on peut marquer le moment. Mais une réforme, surtout si elle se veut d’ampleur, commande au nom de la raison même de prendre le temps de rassembler ses différents acteurs dans une intention partagée. C’est le b.a.-ba du dialogue social.
Le gâchis actuel est imputable au ministre, à un gouvernement qui bâcle sa copie et réussit le tour de force de prendre à rebrousse-poil de catégories sociales qui a priori peuvent lui être favorables. Ni les enseignants, ni les personnels municipaux, ni les animateurs ne sont contre les réformes, au contraire. Nous ne sommes pas des conservateurs crispés. L’école va mal, nous le savons tous. Les parents vont mal parce que dans les milieux populaires nous voyons chaque jour les dégâts du chômage que l’austérité aggrave au lieu de guérir. Réformer il le faut ! Mais pas comme ça. Avec une autre ambition que celle-là . D’ailleurs il faudrait que le ministre et sa majorité politique, ses accompagnateurs syndicaux et associatifs, se rendent compte du fossé inutile qui est en train de se creuser.
La sagesse voudrait qu’on suspende immédiatement la réforme des rythmes scolaires pour reprendre la réflexion sur des bases saines. En 2008, les tenants de l’ex gouvernement, qui s’offusquent vertueusement aujourd’hui, ont volé aux élèves de la République deux heures hebdomadaires d’école. Deux heures de culture partagée. C’était un bout de RGPP appliquée à l’école primaire et maternelle. La réforme des rythmes, aujourd’hui, ne s’interroge pas sur cette réduction. Pourtant ce larcin politique porté par la droite parlementaire expose les enfants des milieux les plus démunis aux inégalités sociales, économiques et culturelles. La réforme Peillon, précipitée, mal concertée, substitue aujourd’hui à ces deux heures de culture scolaire volées en 2008, deux heures de temps éducatif que les communes ne sont pas en mesure de toujours garantir en qualité. Le plus souvent, à l’aide d’une législation bricolée et dégradée mise en place par jeunesse et sports, les animateurs périscolaires sont payés à moindre coût. Ou bien on oblige des personnels territoriaux à encadrer ces activités en allongeant leurs horaires en modifiant leurs postes.
D’une commune à l’autre, les bouts de ficelles ici, ou des budgets plus conséquents là , ne font qu’accroître les inégalités des territoires.
Le ministre Peillon est enseignant d’origine. Il dit s’être entouré de chronobiologistes. Comment, quand on est un professionnel de l’éducation, peut-on penser qu’on peut bousculer la vie quotidienne en maternelle, même en primaire, par la succession d’une multitude d’intervenants, sans compromettre la fatigabilité et l’attention pendant les heures d’école ? Le résultat n’est pas convaincant : les enfants passent plus de temps dans les locaux scolaires dans des activités plus morcelées.
Les enfants des milieux populaires n’ont pas trop d’école. Certes, aujourd’hui, ils n’y sont pas heureux, s’y ennuient souvent. Ils y souffrent comme beaucoup de citoyens dans cette république inégalitaire. Mais la problématique des rythmes n’a pas pour volonté de traiter la question stratégique des finalités de l’école. Elle relève d’un autre objectif.
L’investissement périscolaire est supposé relever d’un double souci social et pédagogique. Il apporte la variété, l’ouverture culturelle. Mais en réalité, il pose une autre question, celle de l’entrée des municipalités dans le programme et le projet éducatif local. En faisant mine de peler des œufs, on entre dans une logique de marché et d’appel d’offres auprès des mairies. On pourra confier bientôt au privé, y compris via les copains des associations, un plaçou périscolaire. On est dans le contre-pied de Condorcet. Lui, au nom de la laïcité, il voulait protéger l’école des lobbies et pouvoirs locaux grâce à un service national. Aujourd’hui, on ouvre grand le boulevard des inégalités territoriales et du marché scolaire aux appétits de pouvoirs locaux. Construire les partenariats avec l’école, supposait d’abord border les risques de municipalisation qui surgissent partout où des élus se piquent désormais d’être des ingénieurs de l’école communale.
Reprenons toute la réflexion, arrêtons le gâchis, oui aux réformes dès lors qu’elles respectent tous les acteurs. Mais celle des rythmes est à suspendre immédiatement. Remettons l’ouvrage sur le métier à partir des finalités de l’Ecole. Une autre école est possible !